Un coup de théâtre vient de frapper l’est de Montréal. L’entrepôt des Ameublements Tanguay, exploité par le Groupe BMTC Inc., fermera définitivement ses portes, plaçant 140 travailleuses et travailleurs devant une situation d’incertitude totale. Cette décision unilatérale, annoncée en début de négociations syndicales, soulève de sérieuses questions sur l’avenir de l’emploi dans l’arrondissement et le respect des droits des travailleurs montréalais.
Une annonce choc en pleine négociation
Le lundi 9 octobre 2025, dès l’ouverture des négociations avec le syndicat Unifor, section locale 145, la direction de l’entrepôt Tanguay a laissé tomber une bombe : l’entreprise déménagera vers un nouveau site et confiera l’ensemble de ses opérations à des sous-traitants. Les 140 employés, dont le contrat actuel est valide jusqu’en décembre 2025, se retrouvent ainsi sur la sellette, sans véritable dialogue ni consultation préalable.
Bien que l’employeur prévoie maintenir les travailleurs en poste jusqu’à la fin de décembre, soit la fin de leur contrat de travail, l’entrepôt sera ensuite vidé avant la fin du bail prévu en avril 2026. Cette stratégie confirme le caractère irrévocable de la décision patronale.
La colère syndicale face au mépris patronal
Le comité syndical, profondément choqué par cette annonce faite dès la première rencontre de négociation, a choisi de suspendre les discussions pour le reste de la semaine. Les représentants d’Unifor ne cachent pas leur indignation.
« C’est une gifle aux visages des travailleuses et travailleurs qui s’attendaient à négocier dans le respect. Il est très difficile de parler de solutions quand l’employeur arrive avec une décision déjà prise, sans dialogue et sans considération. On ne peut pas laisser passer ça », a déclaré Jean-Yves Filion, représentant national pour Unifor.
Daniel Cloutier, directeur québécois d’Unifor, a renquéri en des termes encore plus sévères : « Ce genre d’annonce, faite à froid en début de négociation, est une insulte à l’intelligence et à la dignité des travailleuses et travailleurs. C’est une démonstration claire de mépris, et Unifor prendra tous les moyens nécessaires pour défendre ses membres. »
Le syndicat analyse actuellement les répercussions juridiques de cette annonce et promet de demeurer aux côtés de ses membres pour défendre leurs droits et leur avenir.
La sous-traitance : un problème grandissant à Montréal
Cette décision de BMTC de sous-traiter intégralement les opérations de l’entrepôt s’inscrit dans une tendance inquiétante observée à Montréal. Selon une étude récente de l’IRIS publiée en mai 2025, la Ville de Montréal a perdu le contrôle sur ses contrats de sous-traitance, notamment en génie-conseil.
Les montants facturés par les firmes privées ont explosé de 82 % depuis 2012, soit plus du double de l’inflation. La valeur des contrats confiés à des entreprises privées a connu une augmentation moyenne de 18 % par an. En 2024, cinq entreprises seulement se partageaient les trois quarts de la valeur des contrats, avec très peu de compétition : près de la moitié des appels d’offres n’ont reçu qu’une seule soumission.
Cette dépendance accrue au secteur privé permet aux entreprises d’augmenter leurs tarifs bien au-delà du juste prix, tout en offrant des services de qualité décroissante. Si la Ville avait rapatrié ces services au public, elle aurait réalisé des économies d’au moins 40 millions de dollars en 2024 seulement.
Des conséquences humaines et économiques majeures
Pour les 140 familles montréalaises directement touchées par la fermeture de l’entrepôt Tanguay, les conséquences sont immenses. La perte d’un emploi stable en pleine période d’incertitude économique représente un choc brutal pour ces travailleurs, dont beaucoup ont consacré des années à l’entreprise.
Au-delà du drame humain, cette fermeture illustre une transformation du marché du travail montréalais où les emplois syndiquisés et bien rémunérés sont progressivement remplacés par de la sous-traitance précaire. Cette stratégie permet aux entreprises de réduire leurs obligations sociales tout en maximisant leurs profits.
L’est de Montréal, déjà fragilisé par plusieurs fermetures d’entreprises ces dernières années, subit un nouveau coup dur qui affectera l’économie locale et la vitalité des quartiers environnants.
Quelles perspectives pour les travailleurs ?
Alors que le syndicat Unifor se prépare à défendre juridiquement ses membres, les questions demeurent nombreuses. Les travailleurs pourront-ils obtenir des compensations équitables ? Auront-ils accès à des programmes de réinsertion professionnelle ? La Ville de Montréal interviendra-t-elle pour faciliter leur transition ?
Ce dossier rappelle avec force l’importance des syndicats dans la défense des droits des travailleurs face aux décisions unilatérales des employeurs. Il soulève également des questions plus larges sur le modèle économique privilégié par certaines entreprises, qui favorise la sous-traitance au détriment de la stabilité d’emploi et des conditions de travail décentes.
Unifor, le plus grand syndicat du secteur privé au Québec et au Canada, représente plus de 320 000 membres, dont près de 55 000 au Québec. Affilié à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), le syndicat a promis d’user de tous les recours légaux disponibles pour protéger les intérêts de ses membres.
La fermeture de l’entrepôt Tanguay dans l’est de Montréal ne constitue pas qu’un fait divers économique. Elle symbolise les défis auxquels font face les travailleurs montréalais dans un contexte de précarisation croissante de l’emploi et de recours massif à la sous-traitance. Les prochaines semaines seront déterminantes pour l’avenir de ces 140 employés et pour l’exemple que cette situation créera dans le paysage des relations de travail à Montréal.
