Le 27 octobre 2025, Montréal accueillera un événement culturel majeur : la venue d’Annette Wieviorka, figure incontournable de l’historiographie de la Shoah, à l’occasion du lancement des mémoires de Salomon Buch, survivant québécois de l’Holocauste. Cette rencontre exceptionnelle, organisée au Musée de l’Holocauste Montréal, souligne le rôle essentiel de la métropole québécoise dans la préservation de la mémoire collective.
Un Événement Historique au Cœur de Montréal
Le Musée de l’Holocauste Montréal sera l’hôte d’une soirée mémorable le 27 octobre 2025 à 19h. Cet événement gratuit, qui nécessite toutefois une réservation, marque la sortie de « Un serment à la vie », les mémoires de Salomon Buch, publiés par le Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste de la Fondation Azrieli. L’événement se tiendra au 5151, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, un lieu chargé de symboles pour la communauté montréalaise.
Cette rencontre revêt une importance particulière car elle réunit l’expertise académique d’Annette Wieviorka et le témoignage poignant de Salomon Buch, créant ainsi un pont entre l’histoire scientifique et la mémoire vécue. L’historienne française présentera le contexte dans lequel s’inscrivent ces mémoires, offrant une perspective enrichie sur cette période sombre de l’histoire.
Annette Wieviorka : Une Voix Majeure de l’Histoire de la Shoah
Annette Wieviorka est historienne, directrice de recherche honoraire au CNRS, vice-présidente du Conseil supérieur des archives et vice-présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Son parcours académique impressionnant en fait l’une des voix les plus autorisées sur la question de la mémoire de l’Holocauste.
Ses ouvrages, dont « L’Ère du témoin » (1998) et « Auschwitz expliqué à ma fille » (1999), ont été traduits dans de nombreuses langues et ont contribué à façonner notre compréhension collective de la Shoah. Plus récemment, elle a publié « Tombeaux : Autobiographie de ma famille » (prix Femina Essai 2022), où elle évoque notamment des liens personnels avec l’univers de Salomon Buch, leurs familles ayant fréquenté le même milieu bundiste parisien.
Dans une interview accordée à Philosophie Magazine en janvier 2025, à l’occasion des quatre-vingts ans de la libération d’Auschwitz, Wieviorka souligne un changement fondamental : « La mémoire vive d’Auschwitz se meurt. Ne subsiste peu à peu qu’une mémoire culturelle. » Cette observation prend tout son sens lors d’événements comme celui de Montréal, où la transmission directe des témoignages devient cruciale.
Salomon Buch : Un Parcours de Résilience
Salomon Buch est né en 1923 à Paris, dans le quartier populaire de Belleville, au sein d’une famille d’immigrés polonais. Son père Ephraim et sa mère Doba avaient quitté Varsovie en 1920, s’installant dans ce quartier ouvrier qui allait devenir un symbole de la vie juive parisienne avant la guerre.
Belleville, ce « quartier populaire peuplé d’ouvriers, d’artisans et d’esprits révolutionnaires », comme le décrit Buch dans ses mémoires, a vu son âme engloutie durant la Shoah. La rue Vilin, terrain de jeux du jeune Salomon, est également celle où a grandi Georges Perec, qui y consacrera plusieurs de ses œuvres littéraires, notamment « W ou le souvenir d’enfance ».
Lorsque les Allemands occupent Paris en juin 1940, Salomon a 17 ans. Suite à l’arrestation de son père et suivant les conseils de ce dernier, il fuit vers Lyon, en zone libre. Le drame s’intensifie avec la rafle du Vél d’Hiv qui emporte le reste de sa famille, à l’exception de Denise, son aînée. Seule, elle tentera désespérément de les faire libérer, mais en vain : toutes seront déportées et aucune ne reviendra.
Dans leur correspondance rédigée à mots couverts – des lettres aujourd’hui publiées dans ses mémoires – Salomon parvient à convaincre Denise de le rejoindre à Lyon, où ensemble ils prendront part à des opérations de résistance. Ce récit, comme le souligne Annette Wieviorka, est « étonnant tant sa mémoire est fidèle, emplie d’une foule de détails qui restituent l’air des différents temps de sa vie. »
Le Programme des Mémoires de la Fondation Azrieli
Le Programme des mémoires de survivants de l’Holocauste de la Fondation Azrieli joue un rôle crucial dans la préservation de la mémoire collective au Canada. Cette initiative collecte et archive les récits de rescapés, publiant certains témoignages qui sont ensuite distribués gratuitement en format imprimé aux établissements scolaires et aux organisations œuvrant pour la mémoire de l’Holocauste partout au pays.
Comme le soulignait David J. Azrieli lui-même : « En racontant ces histoires, les écrivains se sont libérés eux-mêmes. Pendant tant d’années, nous n’en avons pas parlé, même lorsque nous sommes devenus des personnes libres vivant dans une société libre. Aujourd’hui, alors que nous écrivons enfin sur ce qui nous est arrivé au cours de cette période sombre de l’histoire, le fait de savoir que nos récits seront lus et continueront à vivre nous permet de nous sentir vraiment libres. »
En 2019, le programme a organisé des ateliers dans plus de trente villes canadiennes, touchant plus de 6 000 élèves anglophones et francophones. Le personnel du programme s’est rendu jusqu’à Red Deer en Alberta, Digby en Nouvelle-Écosse, et même Whitehorse au Yukon et Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest, démontrant l’engagement pancanadien de cette initiative éducative.
Montréal, Ville de Mémoire et de Transmission
Le choix de Montréal pour cet événement n’est pas anodin. La métropole québécoise abrite une importante communauté de survivants de l’Holocauste et leurs descendants, faisant d’elle un lieu privilégié pour la transmission de la mémoire. Le Musée de l’Holocauste Montréal, inauguré en 1979, est le seul musée canadien exclusivement consacré à l’éducation sur l’Holocauste.
L’institution joue un rôle éducatif majeur, accueillant des milliers d’élèves chaque année et organisant des rencontres avec des survivants. Dans un contexte où, comme le note Annette Wieviorka, « la mémoire vive se meurt », ces lieux et ces événements deviennent essentiels pour assurer la transmission aux nouvelles générations.
La présence d’Annette Wieviorka à Montréal souligne également les liens étroits entre la France et le Québec dans le domaine de la recherche historique et de la commémoration. Cette collaboration transatlantique enrichit la compréhension de l’Holocauste en croisant les perspectives européennes et nord-américaines.
L’Urgence de la Transmission
Avec la disparition progressive des derniers témoins directs de la Shoah, la question de la transmission devient cruciale. Annette Wieviorka, dans ses récents travaux, insiste sur cette transition d’une « mémoire vive » portée par les survivants vers une « mémoire culturelle » maintenue par les institutions, les chercheurs et les éducateurs.
Les mémoires comme celles de Salomon Buch deviennent ainsi des témoignages d’une valeur inestimable. Elles ne se contentent pas de raconter les horreurs de la persécution et de la guerre ; elles redonnent vie à des communautés entières disparues, comme celle du Belleville juif d’avant-guerre, et documentent la résilience humaine face à l’adversité.
L’événement du 27 octobre au Musée de l’Holocauste Montréal s’inscrit donc dans cette mission de transmission. En réunissant une historienne de renommée internationale et les mémoires d’un survivant québécois, il crée un espace de dialogue entre passé et présent, entre mémoire individuelle et collective, entre rigueur académique et émotion du témoignage.
Pour ceux qui souhaitent participer à cet événement gratuit mais sur réservation, les informations sont disponibles sur le site du Musée de l’Holocauste Montréal et du Programme des mémoires de la Fondation Azrieli. Cette soirée promet d’être un moment fort de la vie culturelle et mémorielle montréalaise, un rendez-vous à ne pas manquer pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire, à la mémoire et à l’humanité.

